Theatre Theory Reader. Prague School Writings

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Theatre Theory Reader. Prague School Writings, edited by DROZD, David, KAČER, Jan, SPARLING, Don et al.

Mariana Kunesova, University of Ostrava.

 

Full text

 

Theatre Theory Reader. Prague School Writings, edited by Drozd, David, Kačer, Jan, Sparling, Don et al. (Prague: Karolinum, 2016, 646 p.), ISBN 9788024635781Les écrits du Cercle linguistique de Prague, « boîte à outils » pour interroger le théâtre contemporain

Le Cercle linguistique de Prague, parfois appelé aussi l’École de Prague, a été fondé en 1926 et a connu sa période d’essor dans les années 1930 et 1940. En dehors de son activité dans le champ de la linguistique et de la littérature, il est possible de le considérer comme fondateur de la pensée sémiotique sur le théâtre : dès le début des années 1930, le Cercle applique au domaine du théâtre les termes de structure, signe, élément, dominante, en même temps qu’il affine l’analyse du personnage (« actor – stage figure – dramatic character ») et de l’espace de théâtre (« theatre building – stage – set – dramatic space »). Une des caractéristiques essentielles de cette école est l’étroite connexion de la théorie et la pratique, au point que les publications issues de ses activitées sont l’œuvre tant de théoriciens (Petr Bogatyrev, Jan Mukařovský, Otakar Zich, Jiří Veltruský, Karel Brušák), que de praticiens – parmi lesquels les principaux metteurs en scène des avant-gardes tchèques de l’entre-deux-guerres (Jindřich Honzl, Jiří Frejka, Emil František Burian).

Seul un petit nombre de textes sur le théâtre étaient disponibles dans une autre langue que le tchèque, certains étant publiés séparément (les travaux de Veltruský), d’autres étant intégrés dans de rares volumes collectifs tels que ceux dirigés par Ladislav Matejka (19761) ou Peter Steiner (19822). Il ne s’agissait pas toujours des versions définitives de ces textes, et certaines traductions étaient tributaires d’une terminologie privilégiant les choix de la sémiologie des années 1970.

Cet espace vierge invitait à la publication d’une anthologie critique des traductions de ces textes en anglais. Une équipe internationale de chercheurs et de traducteurs, constituée par David Drozd (directeur de l’Institut d’études théâtrales de l’Université Masaryk de Brno), s’est saisie de cet objectif, soutenue par la Fondation Scientifique de la République Tchèque. Le résultat de ces travaux, auxquels ont été associés des universitaires européens et nord-américains tels que Veronika Ambros, Herta Schmid ou Manfred Pfister, est une antologie critique comprenant 38 textes de la main de neuf auteurs, théoriciens ou hommes de théâtre. La plupart de ces textes sont traduits pour la première fois (Honzl, Frejka, Burian, Kouřil), dans certains cas il s’agit de traductions déjà parues et révisées pour cette édition (Mukařovský, Bogatyrev, Veltruský, Zich, Brušák).

Afin de donner toute la mesure des apports de l’École de Prague, les études sont réparties en huit sections thématiques : le théâtre en général ; le personnage ; les rapports du texte et de la représentation ; l’espace ; le travail de l’acteur ; le théâtre et les recherches ethnographiques ; le théâtre – les médias – la société. Chaque section s’ouvre sur une présentation des textes rassemblés et du contexte de leur écriture. Les traductions sont dotées d’un appareil critique éclairant qui permet au lecteur étranger d’entendre les spécificités dues au contexte culturel tchécoslovaque et de saisir les motifs qui ont pu conduire à des choix de traduction spécifiques. Parfois, cet appareil contient de légères rectifications factuelles (comme lorsque P. Bogatyrev raconte, de mémoire, des épisodes de deux films avec Charlie Chaplin), sans remettre en cause les objectifs des auteurs.

Le résultat est un ouvrage de référence, basé sur un travail considérable et rigoureux de recherche, de traduction et de comparaison, rédigé dans un anglais élégant et soutenu. Quant aux textes d’accompagnement – la préface, la postface et deux brefs chapitres « techniques » proposant des lectures complémentaires –, ils apportent à l’anthologie une valeur ajoutée de taille.

La préface, d’une quinzaine de pages, se donne comme objectif de démontrer que les études structuralistes tchèques sur le théâtre ne représentent pas seulement une contribution à l’histoire de la réflexion sur le théâtre, mais qu’il s’agit de textes qui – dans un siècle traversé par différentes modes, où l’attention s’est parfois détournée des questions théoriques – peuvent jouer le rôle d’une boîte à outils permettant d’affiner la réflexion sur le théâtre contemporain. Un tel emploi des théories pragoises est possible puisque les activités de l’École, à l’instar des performance studies, ont été étroitement liées aux avant-gardes de leur temps, et qu’elles s’intéressaient aux disciplines dépassant le cadre du théâtre seul, rendant ainsi possible l’analyse de ce que l’on désigne aujourd’hui comme cultural performance. De plus, la préface confronte les concepts formulés par l’École de Prague à la mise en scène du 20e voire du 21e siècle, notamment aux productions de Robert Wilson, Peter Brook, Jerzy Grotowski ou Peter Schumann. Elle rappelle en outre que le postulat de la « culture en tant que texte », connu depuis les Mythologies de Roland Barthes (1957) et les travaux de Claude Lévi-Strauss, se rencontre dans les écrits de l’École de Prague dès les années 1920 (à preuve, la réflexion de Bogatyrev sur « Clothing as a Sign » et sa parenté avec l’analyse de la mode chez Barthes).

La préface s’achève en soulignant l’objectif des recherches pragoises, qui est celui de l’efficacité pragmatique (la théorie suivant la pratique et non le contraire). Ainsi, les auteurs du volume sont amenés à proposer ces écrits comme un contrepoids aux Performance Studies, voire à d’autres écoles qu’ils considèrent comme excessivement alourdies par la conceptualisation théorique.

La longue postface de presque une centaine de pages prolonge les recherches de l’École de Prague dans une grande variété de contextes : la multiculturalité de la Tchécoslovaquie, état fondé en 1918, et l’intérêt pour les recherches ethnographiques ; le rôle du théâtre d’acteurs et du théâtre de marionnettes en Tchécoslovaquie ; les expérimentations artistiques des avant-gardes historiques tchécoslovaques ; les controverses entourant la langue tchèque ; la phénoménologie de Husserl ; le marxisme. Les deux dernières sections recommandant des lectures complémentaires sont exhaustifs et informent sur les récentes publications des collaborateurs de l’anthologie ainsi que sur d’autres ouvrages, récents ou plus anciens (ce chapitre est organisé en groupements thématiques plus ou moins explicites : volumes en anglais contenant des études des structuralistes tchèques, monographies sur les structuralistes tchèques, théâtre tchèque, histoire des Pays tchèques).

Last but not least, un des grands intérêts de ce volume réside dans ses illustrations, notamment accompagnant la postface : maquettes scénographiques, revues, photographies de scène. Par la richesse de son contenu et par sa rigueur encyclopédique, mais aussi en raison de la qualité des textes d’accompagnement, allant du simple au complexe, alternant la théorie et les exemples, cet ouvrage a toutes les qualités pour interpeler aussi bien des universitaires et des étudiants que des artistes et des professionnels du monde théâtral, tout comme ceux qui s’intéressent au structuralisme et souhaitent se familiariser avec ses théories sur le théâtre.


1.Sound, Sign and Meaning: Quinquagenary of the Prague Linguistic Circle, edited by Matejka, Ladislav (Ann Arbor: The University of Michigan Press, 1976).

2.The Prague School: Selected Writings, 1929-1946, edited by Steiner, Peter (Austin: University of Texas Press, 1982).